Nous avons encore en mémoire les nombres cas retentissants d’affaires de corruption dans le monde a l’instar des Caisses noires de Siemens ; Licences 2G en Inde, le financement illégal de parti en Espagne ; le « Gürtel » ; « Capture d’État » en Afrique du Sud ; Fifagate ; pots-de-vin d’Odebrecht au Brésil ; l’opération « Lavage-express » et Panama Papers ; qui ont révélé au grand jour et mis à nu des actes de corruption à grande échelles de plusieurs milliards de dollars, impliquant aussi bien des agents publics, Cabinets, banques, membres de gouvernement, personnalités politiques de haut niveaux, sportifs et célébrités et mêmes les chefs d’État ou de gouvernement.
Cette corruption, qui a pour principal infraction sous-jacente le blanchiment de capitaux produit par cette corruption s’est faite avec l’aide ou l’assistance entre outre, des entités déclarantes (assujettis) parmi lesquelles les institutions financières (banque, microfinance, établissement de crédit, de paiement ou de monnaie électronique, assurance, prestataire de financement participatif, etc.) en violation des recommandations du GAFI pour la lutte contre la corruption, la Convention des Nations unies contre la Criminalité transnationale (Palerme), la Convention des Nations unies contre la Corruption (Merida), la Convention anticorruption de l'OCDE). Mais comment est-ce que la corruption peut-elle être assimilée à un crime contre l’humanité ? Comment viole-t-elle les droits inhérents à l’Homme ?
A - la portée de la corruption pouvant entraver les droits de l’Homme
Pour ANDVIG et FJELDSTAD (2001), la corruption est un « phénomène complexe et multiforme », aux causes et conséquences multiples.
Elle se manifeste ou peut prendre plusieurs formes notamment : les pots-de-vin, le favoritisme ou le détournement de fonds au sein des bureaucraties gouvernementales et entreprises privées. Elle implique des actes de fraude, de blanchiment d’argent ou de manipulation des marchés ; englobe des pratiques comme l’achat d’influence, le financement illicite des partis politiques ou la manipulation des décisions législatives. Elle se traduit par des fraudes électorales, l’achat de votes ou la manipulation des processus électoraux et implique des juges ou des officiers de justice qui acceptent des paiements ou des avantages pour influencer des verdicts ou des décisions judiciaires.
Ces différentes formes de corruption qui affectent directement l’efficacité et l’intégrité des services publics ; qui portent préjudice aux économies des pays, qui compromettent la légitimité des institutions démocratiques, sapent l’Etat de droit, la confiance dans les systèmes démocratiques ainsi que judiciaires ont des conséquences dévastatrices qui entraîne de facto la famine, l'extrême pauvreté et inégalités des ressources; les conflits armés, l’entrave à l'accès à l'eau potable, à l'éducation, à la santé, aux soins médicaux, à l'électricité, aux infrastructures, à l'emploi, aux services publics, à l'égalité de genre, à la sécurité, à un procès juste et équitable constituent de façon généralisée une atteinte aux droits fondamentaux de l’Homme et au progrès durable.
Lorsque la corruption s'attaque et infecte les institutions publiques (administrative, économique, législative et judiciaire), elle constitue un fléau à même de compromettre la démocratie, de saper l’État de droit, de générer des inégalités et d’installer des populations dans des contextes d’insécurité multiforme.
Pour Ilias BANTEKAS (2006), la corruption lorsqu’elle se manifeste par des conséquences telles que la famine, la maladie et le déni de soins médicaux, elle devrait être envisagée comme pouvant constituer un crime contre l’humanité, indépendamment de toute corrélation avec des conflits armés.
Tel est la portée de la corruption qui menace, fragilise et viole la dignité humaine.
B – Les illustrations de la corruption comme crime contre l’humanité
Un crime contre l'humanité est une incrimination créée en 1945 dans le statut du Tribunal Militaire de Nuremberg, établi par la Charte de Londres en son article 6. Il désigne une « violation délibérée et ignominieuse des droits fondamentaux d'un individu ou d'un groupe d'individus inspirée par des motifs politiques, philosophiques, raciaux ou religieux ».
La corruption comme crime contre l’humanité implique nécessairement la convergence d’une vision économique et politique à une approche axée sur les droits de l’homme avec un changement de perception selon lequel la corruption ne soit plus uniquement traitée comme une appropriation illicite de richesses et une distorsion des dépenses (qui, certes, nuit à la stabilité économique et politique d’un pays), mais également, et avant tout, comme une violation potentielle des droits de l’Homme.
Toutefois, arriver à faire converger la lutte contre la corruption et protection reste un défi, tant les approches diffèrent. En effet, tandis que la notion de droits de l’Homme s’articule autour de la relation victime-État et accorde des droits aux individus, groupes et peuples, dont découlent des obligations concrètes pour les États, le cadre juridique pertinent pour la lutte anticorruption ne présente, quant à lui, aucun droit pour les individus. Il se concentre, en effet, sur les mesures qu’un État, mais également des entités commerciales et autres parties prenantes prendra ou envisagera de prendre pour lutter contre la corruption, par le biais de la prévention, de l’éducation, des réformes institutionnelles criminalisant la corruption, de la coopération internationale, du retour des biens et avoir mal acquis et de la possibilité de recours pour les victimes.
Aujourd’hui, bien que les instruments internationaux de lutte contre la corruption offrent des moyens visant à prévenir la corruption, y compris dans le domaine du droit privé, ils demeurent principalement axés sur un système répressif, traitant la corruption par le biais de sa criminalisation. Or le droit pénal ne permet donc pas de traiter des problèmes structurels engendrés par la corruption, puisqu’il se concentre, de par sa nature même, sur une infraction unique et ne traite pas les effets généraux de la corruption. Le recours aux mécanismes des droits de l’Homme trouve dès lors toute sa raison d’être, ceci dans la perspective de pallier aux limites d’une approche uniquement pénale. Dans une approche des droits de l’Homme, l’accent est mis sur la responsabilité de l’État, le sommant de s’abstenir de toute forme de corruption et l’enjoignant d’adopter des mesures efficaces pour protéger les individus contre les violations des droits de l’Homme causées par la corruption. Les États sont ainsi non seulement tenus de combattre la corruption, mais également de prendre des mesures pour en atténuer les effets néfastes. En intégrant la dimension des droits de l’Homme dans les stratégies de lutte contre la corruption, la mise en œuvre de politiques mettant l’accent sur la prévention est considérablement encouragée, favorisée et améliorée.
Le cadre juridique permettant d’analyser la corruption comme crime contre l’humanité sont :
● La Déclaration Universelle de droits de l’Homme (DUDH)
● La Convention des Nations Unies contre la corruption (CNUCC)
● Les neuf principaux traités relatifs aux droits de l’Homme et leurs protocoles facultatifs.
1 - La corruption comme une violation des droits civils et politiques
Certains droits civils et politiques sont particulièrement exposés aux impacts négatifs de la corruption. Comme violation de ces droits, nous pouvons citer :
a. La violation du droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne
Le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité d’une personne est directement et indirectement entravé par la corruption. Les victimes de la corruption, leurs témoins et les dénonciateurs peuvent être illégalement exposés à des homicides, des arrestations arbitraires, des détentions arbitraires ou d’autres formes de privation de liberté sana compter les poursuites pénales qui empêcheraient des révélations en termes de corruption.
Le paiement de pots-de-vin dans le but de contourner l’application de normes réglementaires gouvernementales peut également engendrer l’exposition de personnes à des risques physiques et/ou environnementaux liés au non-respect de normes de sécurité, notamment en matière de construction et/ou d’utilisation abusive ou inappropriée de produits toxiques.
De plus, la corruption dans le système pénitentiaire fait peser un risque considérable sur la vie, la liberté et la sécurité des détenus. Le Comité des droits de l’Homme s’est d’ailleurs régulièrement dit inquiet de cette problématique. Dans ses Observations finales de 2015 faites à l’Ouzbékistan, il fait ainsi référence à l’article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), qui garantit le droit à la vie, dans un contexte d’allégations de corruption généralisée, extorsion de fonds et conditions de travail dangereuse dans le secteur du coton, dont les mauvaises conditions durant la récolte ont déjà entraîné la mort.
Le détournement de fonds à grande échelle et la mauvaise affectation des ressources publiques induits par la corruption réduisent la capacité de l’État à fournir les biens et services, notamment dans le cadre du développement et de la diminution de la pauvreté, pourtant essentiels au bien-être et à la survie de l’individu.
Ainsi, la corruption peut avoir pour conséquence une affection des ressources publiques à de grands projets d’infrastructure ou à des passations de marchés militaires, dont les pots-de-vin sont élevés, au détriment de secteurs tels que la santé et l’éducation, comme décrit ci-dessous.
Enfin, la corruption au sein du pouvoir judiciaire peut porter directement préjudice aux droits à un procès équitable, en particulier lorsqu’il s’agit de contester les motifs d’une arrestation, de la détention qui s'ensuit et d’obtenir une indemnisation pour détention injustifiée.
b. La violation de l’abolition de la torture
Il existe une corrélation reconnue entre les différents niveaux de corruption dans un État et la prévalence de la torture et des mauvais traitements : la corruption engendre le non-respect des droits de l’homme, contribuant lui-même à la prévalence de la corruption. Le Rapporteur spécial sur la torture a publié un rapport en janvier 2019 dans lequel il examine ce lien entre corruption et torture ou mauvais traitement.
La corruption entrave non seulement la mise en œuvre effective des obligations en matière de droits de l’homme, mais crée également un environnement propice aux violations des droits de l’homme, incluant la torture et les mauvais traitements. Dans son rapport, le Rapporteur spécial établit six types de causalités entre la corruption et toute forme de torture ou de mauvais traitement.
c. La violation contre le droit de n’être ni soumis à de mauvais traitements ni à la torture en détention
Le Comité des droits de l’homme a souvent exprimé ses préoccupations concernant la corruption dans le système pénitentiaire. Entre 2007 et 2017, il a adopté quatre recommandations relatives à la corruption dans les établissements pénitentiaires, destinées à la Bulgarie (2011), l’Albanie (2013), au Cambodge (2015) et à l’Azerbaïdjan (2016). Le Comité des droits de l’homme a recommandé à l’Azerbaïdjan de lutter contre la corruption dans les établissements pénitentiaires et d’améliorer les conditions de détention, conformément aux règles de standards minimums reconnus par les Nations Unies en matière de traitement des détenus. (Règles de Nelson Mandela).
Le Comité CAT fait, lui aussi, souvent référence à la corruption dans le cadre de la détention et concernant ceux responsables de l’application des lois. Dans ses Observations finales de 2012, il recommandait à l’Arménie de prendre des mesures efficaces pour contrôler systématiquement tous les lieux de détention, y compris les services de santé y afférent et éliminer la corruption dans les prisons.
Le Sous-comité pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (SPT) a également fait part de ses préoccupations concernant la corruption dans le cadre de la détention ou dans les systèmes pénitentiaires de pays tels que le Paraguay, le Honduras, le Mexique ou le Bénin. Contrairement au Comité CAT, les recommandations du SPT ont été spécifiques, détaillées et concrètes. Elles suggèrent des audits indépendants de certaines prisons, l’adoption de codes de conduite du personnel et la publication du budget des établissements pénitentiaires.
d. Violation pour l’indépendance de la justice, à une procédure régulière et au droit à réparation
Les garanties judiciaires, droit à une procédure régulière et droit à un recours sont compromises à plusieurs égards lorsque des personnes qui rendent la justice se livrent à la corruption. La corruption judiciaire peut être définie comme « des actes ou des omissions constituant une utilisation de l’autorité publique pour le bénéfice propre du personnel des tribunaux, entraînant le rendu inapproprié et injuste de décisions judiciaires »
Cette définition large englobe « la corruption, l’extorsion, l’intimidation, le trafic d’influence et le recours abusif aux procédures judiciaires à des fins personnelles » par les juges et autres personnels des Tribunaux. Dans ce contexte, il convient de noter que le Comité des droits de l’Homme a fréquemment exprimé ses préoccupations concernant la corruption dans le système judiciaire. Par exemple, dans ses Observations finales sur la Géorgie de 2014, il a reconnu « la nécessité de garantir le respect de la légalité et de combattre la corruption, d’assurer aux victimes de violations des droits de l’homme des recours utiles et de faire en sorte que les auteurs de violations des droits de l’homme et d’actes de corruption ne restent pas impunis ».
La corruption de juges viole directement le droit à un procès équitable énoncé à l’article 14 du PIDCP43, qui garantit notamment l’égalité de tout individu devant les juridictions et les Tribunaux et leur « droit à un procès équitable », dans le cadre d’un « Tribunal compétent, indépendant et impartial, établi par la loi ».
En acceptant ou sollicitant un pot-de-vin, un juge perd son indépendance, s’assujettissant à des ingérences extérieures qui risquent de conduire à des procédures inéquitables. Ainsi, par exemple un accord entre un juge et une tierce personne de ne pas divulguer des documents à la défense peut être susceptible de violer les exigences d’un procès équitable, du principe de l’égalité des armes et du droit d’être informé rapidement et en détail des accusations portées contre la partie adverse. Sous toutes ses formes, la corruption viole le droit à l’égalité devant la loi. Il est donc impératif que les juges restent indépendants et qu’ils suivent des procédures pour identifier et signaler toute tentative d’influencer une affaire.
e. La violation du droit à la participation politique
Affectant la responsabilité des décideurs vis-à-vis du public, la corruption affaiblit la gouvernance. En effet, lorsque la corruption est répandue, les chances pour que les fonctionnaires publics agissent dans l’intérêt de la société sont amoindries. Ils perdent ainsi progressivement le soutien du public et la légitimité du régime démocratique de ses institutions s’en trouve menacée.
La corruption nuit également à certains droits de l’homme liés à la participation politique. Par exemple, la fraude en matière d’élection, de référendum ou de plébiscite, par corruption des électeurs, constitue une violation directe de l’article 25 a) et b) du PIDCP, de même que la corruption des responsables de partis politiques résultant de contributions aux campagnes électorales. A titre d’exemple il faut mentionner les observations finales à la Bosnie-Herzégovine en 2017, où le Comité des droits de l’homme a recommandé à l’État :
a) « d’adopter un système électoral garantissant la jouissance égale des droits de tous les citoyens au titre de l’article 25 du Pacte, indépendamment de l’appartenance ethnique »
b) « de modifier, de toute urgence, sa constitution et sa loi électorale afin de supprimer les dispositions discriminatoires à l’égard des citoyens de certains groupes ethniques, les empêchant de participer pleinement aux élections
c) « d’intensifier ses efforts pour lutter contre la corruption, en particulier au sein des figures du gouvernement, afin de garantir une participation efficace à la vie publique ».
f. La violation pour la liberté d’expression
La lutte contre la corruption peut être renforcée par des mesures visant à promouvoir la liberté d’expression garantie par l’article 19 du PIDCP. Le droit à l’information demeure cependant corruptible. En effet, il est parfois fait recours à des actes de corruption dans le but d’obtenir une autorisation gouvernementale valable permettant la diffusion d’informations par le biais des médias traditionnels, ainsi que l’usage d’influence sur les personnes qui travaillent en lien avec les médias ou qui les contrôlent.
Divers acteurs publics ou privés peuvent, en outre, avoir un intérêt à empêcher la divulgation d’actes de corruption ou l’échange d’informations s’y référant. Ils peuvent ainsi être conduits à exercer des représailles contre ceux qui dénoncent des actes de corruption ou faire supprimer des manifestations publiques dénonçant le problème de la corruption. Ils sont également susceptibles d’empêcher l’accès à des informations détenues par des organismes publics qui révèleraient ou seraient susceptibles de révéler des actes de corruption.
Le Comité des droits de l’homme a précisé que « pour donner effet au droit d’accès à l’information, les États parties devraient entreprendre activement de mettre dans le domaine public toute information détenue par le gouvernement qui est d’intérêt général. Les États parties devraient faire tout ce qui est possible pour garantir un accès aisé, rapide, effectif et pratique à cette information. Les États parties devraient aussi établir les procédures nécessaires permettant d’obtenir l’accès à cette information, par exemple en promulguant un texte de loi relatif à la liberté d’information». En outre, le Comité des droits de l’Homme, dans ses Observations finales à l’Azerbaïdjan, a exprimé sa préoccupation en ce qui concerne l’absence de lois garantissant le droit à l’information et le fait que les lois héritées du passé n’avaient pas été modifiées pour garantir les droits prévus par l’article 19 du PIDCP.
2 - La corruption comme violation pour les droits économiques, sociaux et culturels
Les dommages causés par la corruption ne se limitent pas aux droits civils et politiques. La corruption peut également conduire à des violations de droits économiques, sociaux et culturels spécifiques par des mesures délibérément régressives.
a) La corruption comme menace pour les obligations juridiques générales en matière de droits économiques, sociaux et culturels
La corruption pourrait être considérée intrinsèquement comme une violation de l’article 2 (1) du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), qui énonce l’obligation fondamentale incombant aux États de réaliser les objectifs économiques, sociaux et culturels entérinés.
En effet, chaque élément de l’article 2.1 du PIDESC prévoit des obligations pour les États, pouvant potentiellement devenir difficiles voire impossibles à honorer en cas de corruption. L’obligation première étant de « s’engager à agir » pour garantir lesdits droits. En vertu du PIDESC, ces mesures doivent être « réfléchies, concrètes et ciblées ». Elles doivent, en outre, inclure la suppression des obstacles à la réalisation des droits économiques, sociaux et culturels. La corruption constituant un obstacle, les États sont donc, par principe, astreints par le PIDESC à prendre des mesures anti-corruption.
En outre, l’article 2.1 du PIDESC exige de l’État qu’il prenne des mesures « en vue de réaliser progressivement le plein exercice des droits reconnus dans le (…) Pacte ». Par conséquent, les États sont tenus d’accorder une certaine priorité dans l’attribution de leurs ressources à la réalisation des droits de l’Homme. L’attribution disproportionnée de fonds publics au plus haut niveau viole cette obligation, puisque priorité est donnée au financement d’un niveau de vie élevé des hauts fonctionnaires et gouvernants plutôt qu’à la réalisation des droits sociaux fondamentaux en matière de droits de l’Homme.
Par ailleurs, l’article 2.1 du PIDESC exige de chaque État qu’il agisse « au maximum de ses ressources disponibles ». Or, c’est l’État lui-même qui définit en premier lieu les ressources dont il dispose et fixe ensuite le plafond des montants disponible. Néanmoins, en vertu du paragraphe 27 des Principes de Limbourg, le Comité DESC peut prendre en considération « l’utilisation équitable et pertinente des [...] ressources disponibles » pour déterminer si l’État partie a pris les mesures appropriées au sens de l’article 2.1 du PIDESC. Cet élément proscrit ainsi le détournement des ressources qui devraient être destinées à des fins sociales.
A noter que d’autres comités, tels que le Comité des droits de l’enfant (CRC), ont fait référence aux mesures de lutte contre la corruption, pointant précisément la distorsion dans l’attribution des ressources budgétaires.
Enfin, l’article 2.1 du PIDESC énonce l’obligation pour l’État d’utiliser « tous les moyens appropriés ». L’article 8.4 du Protocole facultatif se rapportant au PIDESC réitère cette obligation en employant le terme de « raisonnablement ». Bien que les concepts de « moyens appropriés » et de « raisonnablement » pourraient être considérés comme des plafonds limitatifs aux dépenses publiques, ils servent également, et surtout, à fixer un critère de plancher, les engageant à considérer leurs ressources maximales en vue de parvenir progressivement à la pleine réalisation des droits reconnus par le PIDESC. C’est prioritairement à l’État qu’il incombe de déterminer quels moyens sont appropriés et raisonnables.
b) La violation des droits à un niveau de vie suffisant et à l’éducation
Le droit à un niveau de vie suffisant est consacré par l’article 11 du PIDESC. Reconnu comme partie intégrante du droit à un niveau de vie suffisant, le droit aux soins est, en outre, garanti à l’article 12 du PIDESC. Ces dispositions donnent à chacun le droit à la nourriture, à l’eau, au logement et aux soins en quantité suffisante. Le droit à l’éducation figure, quant à lui, à l’article 13 du PIDESC. En outre, le Comité DESC a adopté plusieurs observations générales qui expliquent la portée de ces droits. La corruption, sous ses différentes formes, peut conduire un État à violer ces droits de différentes manières :
Premièrement, la corruption peut ralentir la croissance économique et, par là même, les recettes publiques. La corruption peut également limiter la capacité de l’État à fournir des biens et services essentiels. Il est à noter que le Comité DESC a soulevé des préoccupations concernant la corruption, notamment en ce qui concerne l’accès aux soins ou le paiement d’honoraires non officiels pour des soins prodigués (en violation de l’article 12 du PIDESC). Il révèle également la corruption liée à l’accès à la nourriture, au logement, à l’attribution de terres (en violation de l’article 11 du PIDESC) ainsi que dans le système judiciaire et de sécurité sociale (en violation de l’article 9 du PIDESC).
Deuxièmement, la corruption peut conduire à ce que les individus soient privés de leurs droits économiques, sociaux et culturels. Des pots-de-vin peuvent être versés, des échanges d’influence exercés ou des services exploités abusivement en vue d’accéder à des services publics, tels que des soins médicaux, en violation de l’article 12 du PIDESC, une admission aux écoles en violation de l’article 13 du PIDESC ou les raccordements aux canalisations d’eau des villes, en violation de l’article 11 du PIDESC. La corruption peut, en effet, constituer une condition préalable à l’obtention de ces services à tout moment ou dans un délai raisonnable.
Alternativement, ces formes de corruption peuvent être utilisées pour accéder à des entités, telles que des droits de propriété, qui sont déjà détenues par d’autres, en violation du droit aux logements, au sens de l’article 11 du PIDESC.
Un État dont les responsables nient l’accès aux biens et services essentiels en raison de la corruption enfreint son obligation de respecter et de mettre en œuvre les droits économiques, sociaux et culturels. Un État qui omet d’empêcher, d’enquêter et de punir les actes de corruption d’agents ou de tiers viole son obligation de protéger les droits économiques, sociaux et culturels.
Troisièmement, il faut noter que les entreprises et les particuliers sont également susceptibles de recourir à la corruption pour se soustraire à des normes légales. En effet en échange de pots-de-vin ou sous la pression de tiers corrompus, les inspecteurs sont enclins à ignorer certaines pratiques de travail dangereuses, en violation de l’article 7 du PIDESC, les organismes de réglementation peuvent autoriser prématurément la vente de médicaments ou de dispositifs médicaux en violation de l’article 12 du PIDESC ou encore, les responsables de l’environnement peuvent s’abstenir d’appliquer les normes protégeant les bassins d’eau potable ou les terres agricoles contre la contamination, en violation des articles 11 et 12 du PIDESC. Dans tous ces cas, la corruption est susceptible d’entraîner une violation du devoir de l’État de respecter les droits économiques et sociaux et fournir des biens et services conduisant à la réalisation de ces droits.
Quatrièmement, les fonctionnaires peuvent détourner des fonds destinés à des programmes concernant l’alimentation, l’eau, la santé, le logement et l’éducation ou détourner du matériel acquis pour ces programmes à des fins personnelles, en violation des articles 11 et 12 du PIDESC. Cela amoindrit la capacité de l’État à fournir à ses populations des biens et services essentiels en qualité et quantité suffisantes. Ainsi, les écoles et les hôpitaux disposent de moins de fournitures, les enseignants et les médecins reçoivent des salaires relativement bas (et sont donc susceptibles de chercher des pots-de-vin) et les programmes d’aide alimentaire ou financière offrent des prestations réduites. De cette manière, l’appropriation illicite peut conduire à des violations du devoir de respecter et de faire respecter les droits de l’homme.
Enfin, la corruption au sein du gouvernement et ses divers services publics est susceptible de porter atteinte aux droits économiques, sociaux et culturels de secteurs spécifiques de la population, tels que les personnes vivant dans la pauvreté.
Au regard de toutes ces illustrations, il est indéniable que la corruption viole de façon flagrante les droits de l’Homme et de ce fait la dignité humaine.
C – Le rôle des institutions financières et bancaires
L'utilisation du système financier à travers les institutions financières et les banques aux fins du blanchiment de capitaux produit par la corruption est de plus en plus préoccupante et exige une réponse forte et concertée des acteurs du secteur financier.
La corruption implique forcément le blanchiment des capitaux étant entendu que l’intérêt des corrompus est de blanchir leur argent sale, bénéficier d’un produit substantiel de la corruption au moyen des investissements publics, des sociétés offshore et fictives, des transactions effectuées dans des paradis fiscaux. En retour, les sociétés-écrans offrent des opportunités pratiques pour intégrer des espèces physiques dans une entreprise et exploiter ensuite ses connexions bancaires pour déplacer les espèces entre pays.
Les acteurs du secteur financier sont tenus de mettre en œuvre de manière satisfaisante, et en application des textes nationaux et internationaux de lutte contre le blanchiment des capitaux, des mesures de vigilance à l’égard de leurs clientèles. Ces obligations de vigilance, justifiées par les risques majeurs que représentent, pour la stabilité des systèmes financiers et la cohésion des sociétés, le blanchiment des capitaux et par le rôle essentiel des institutions financières dans la prévention de ces phénomènes, leur imposent de recueillir des informations sur leurs clientèles. Ces informations sont destinées à leur permettre de comprendre les risques présentés par chaque client et les opérations qu’il est susceptible de réaliser, pour établir ensuite le profil de ce client et veiller, dans le cadre d’une vigilance constante, à la correspondance des opérations au profit dudit client. Cette vigilance permet de détecter les opérations suspectes, de les analyser et le cas échéant de les déclarer ou dénoncer aux autorités compétentes de contrôle.
In fine, les institutions financières doivent jouer pleinement leur rôle dans la prévention et la lutte contre le blanchiment des capitaux, produit de la corruption et non être de simples vecteurs ou canaux de flux financiers favorisant le blanchiment des produits issus de la corruption et par ricochet la violation des droits fondamentaux de l’Homme.
Conclusion
Lutter contre la corruption, c’est protéger les droits humains tout en renforçant l’État de droit, garantir la bonne gouvernance, la transparence, la justice, qui sont des conditions indispensables à une société juste et équitable.
Armand WOMBOU,
Commission Droit Bancaire et Financier,
Yaoundé, Cameroun