Peine de mort | 10.10.2021

19e Journée mondiale contre la peine de mort - Les femmes et la peine de mort : une réalité invisible

L'UIA-IROL et le Comité des femmes de l'UIA s'associent à la Coalition mondiale contre la peine de mort et aux organisations abolitionnistes du monde entier pour commémorer la 19e Journée mondiale contre la peine de mort.


Tout en réitérant notre engagement en faveur de l'abolition universelle de la peine de mort, nous souhaitons attirer l'attention sur le thème central de cette 19e Journée mondiale, à savoir le sort des femmes qui risquent  la peine de mort, qui sont condamnées à mort, qui ont été exécutées, ainsi qu’à celles qui ont été graciées ou reconnues innocentes.

Les femmes ne représentant qu'une petite minorité des personnes condamnées à la peine de mort dans le monde [1], nous constatons avec inquiétude que leur situation particulière n’est en général pas prise en compte, y compris par le droit international. Comme le souligne le rapport de la Coalition mondiale, même les relativement rares informations statistiques dont on dispose mettent en lumière d'importants schémas arbitraires et discriminatoires dans l’application de la peine à l’égard des femmes.

Parmi d'autres très préoccupantes questions, des préjugés sexistes ont été constatés en ce qui concerne les charges retenues à l’encontre des femmes et pour lesquelles elles sont éventuellement condamnées à mort, notamment dans les cas de meurtres [2], d'infractions liées à la moralité sexuelle [3] et d'accusations telles que le "blasphème". En général, les femmes condamnées à mort sont souvent perçues comme trahissant les rôles qui leur sont traditionnellement attribués [4] . Il est inquiétant de constater par ailleurs que les circonstances atténuantes en lien avec des discriminations fondées sur le sexe, telles que les violences domestiques et sexuelles, sont trop souvent ignorées ou délaissées lors de l'arrestation et du procès, y compris lorsqu'il existe des éléments de preuve pouvant étayer la légitime défense. À cet égard, l'imposition de la peine de mort comme peine obligatoire pour certains crimes est particulièrement préoccupante.

En outre, la discrimination à l'égard des femmes peut être exacerbée par des formes croisées de discrimination, et notamment celles fondées sur la situation socio-économique, la race, l'origine ethnique, le statut migratoire et le handicap psychosocial ou intellectuel, qui ont toutes été à maintes reprises signalées comme ayant un impact disproportionné sur l'application de la peine de mort. Identifier et saisir la discrimination sous-jacente à l'égard des femmes peut donc contribuer à une meilleure compréhension des autres discriminations qui marquent l’application de la peine de mort, et aider à y remédier.

Bien qu'en vertu du droit international, les femmes soient protégées de l'exécution dans certaines circonstances, ces protections sont principalement axées sur leur rôle de mère, prenant soin de leurs enfants, et sont donc réservées aux femmes qui remplissent ces fonctions.

En ce qui concerne les conditions de vie dans le couloir de la mort, les personnes condamnées à mort sont exposées à des conditions de détention particulièrement dures, voire inhumaines. Si, dans certains cas, les conditions d'incarcération des femmes peuvent être meilleures que celles des hommes, les femmes détenues dans le couloir de la mort sont confrontées à des obstacles supplémentaires en raison de leurs besoins spécifiques, tels que l'absence ou l'insuffisance de services de santé adaptés, les menaces de violences sexistes et la restriction des contacts avec la famille. Les États continuent de négliger ce problème particulier, malgré les standards internationaux existantes dans la matière [5].

Par conséquent, la meilleure approche pour garantir l'égalité est l'abolition de la peine de mort partout, dans tous les cas et dans toutes les circonstances, et nous continuons à appeler les États à rejoindre la tendance mondiale vers l'abolition de la peine de mort [6].

En attendant l’abolition universelle de la peine de mort, nous nous faisons l'écho des recommandations formulées dans la fiche détaillée d'information de la Journée mondiale à l'intention des États qui n'ont pas encore aboli la peine de mort ou qui la maintiennent encore, à savoir :

«  a. éliminer la peine de mort pour les infractions qui n’atteignent pas le seuil des « crimes les plus graves » selon le droit et les normes internationales ;
    b. abroger les dispositions qui permettent l’imposition obligatoire de la peine de mort. Ces dispositions ne permettent pas aux juges de tenir compte des circonstances de l’infraction ou de la situation de l’accusé lors de la détermination de la peine ;
   c. reconnaître les formes aggravées de violence subies par les filles et les femmes – y compris les violences fondées sur le genre comme le mariage forcé. Réviser les lois, les procédures pénales et les pratiques judiciaires et mettre en œuvre des politiques et des réformes législatives pour protéger les femmes contre ces abus, prévenir la détention disproportionnée des femmes pour des crimes « moraux et sexuels » et s’assurer qu’elles prennent pleinement en compte les antécédents des femmes, y compris les abus antérieurs, les troubles mentaux et les déficiences intellectuelles ;
    d. assurer la formation de toutes les personnes impliquées dans l’enquête, les poursuites et la représentation pour les crimes impliquant des femmes ;
    e. veiller à ce que toutes les personnes passibles de la peine de mort aient accès à un conseil juridique gratuit et efficace, spécialisé dans la représentation de personnes risquant la peine capitale et formé à la prise en compte du genre dans la défense ;
    f. augmenter le nombre de femmes occupant des postes de décision dans les systèmes judiciaires, notamment les postes de juges, de procureur·e·s et d’administrateur·rice·s judiciaires ;
    g. élaborer et mettre en œuvre des programmes de prévention de la violence et des discriminations fondées sur le genre. Veiller à ce que les mesures de protection et les services juridiques, sociaux et médicaux soient conçus et mis en œuvre de manière à garantir l’inclusion et l’accessibilité de tous, y compris des personnes vulnérables ».

Nous encourageons les membres de l'UIA ainsi que la communauté juridique internationale à se renseigner sur la 19e Journée mondiale, et nous invitons tous, individuellement et/ou collectivement, à soutenir, à s'engager et à relayer, au sein et en dehors des tribunaux, les efforts entrepris pour mettre en lumière l'application discriminatoire et disproportionnée de la peine de mort à l’égard des femmes, tout en plaidant pour l'abolition universelle de la peine de mort.

***

[1] Selon le Cornell Center on the Death Penalty Worldwide « les femmes représentent moins de 5% de la population des couloirs de la mort dans le monde et moins de 5% des exécutions dans le monde ». Voir « Jugée pour plus que son crime », septembre 2018. Voir également l’article apparu dans le Juriste international 2018-4, p.46-48.
[2] Des rapports indiquent que, dans un grand nombre de cas, les femmes sont accusées de crimes souvent en relation avec le meurtre de membres de leur famille dans un contexte de violences sexistes (voir rapport indiqué dans la note 1).
[3]  Par exemple, adultère, relations sexuelles extraconjugales et relations entre personnes de même sexe.
[4]  Voir rapport indiqué en note 1.
[5] Conformément aux Règles des Nations Unies concernant le traitement des détenues et l’imposition de mesures non privatives de liberté aux délinquantes et d’autres règles et normes internationales applicables dans la matière.
[6] Selon Amnesty International, 109 pays ont déjà aboli la peine de mort pour tous les crimes. Un total de 123 États membres des Nations Unies ont voté en faveur de la Résolution adoptée par l’Assemblée Générale appelant à un moratoire sur l’application de la peine de mort, dont Djibouti, la Jordanie, le Liban et la Corée du Sud, qui ont soutenu cette résolution pour la première fois. Ce document intègre également une mention spécifique concernant l’application discriminatoire de la peine de mort à l’égard des femmes.

91544