International | 22.09.2025

Le droit de l’immigration sous pression : Royaume-Uni et France face au populisme

Des deux côtés de la Manche, les avocats en immigration constatent la même tempête : la politique populiste resserre les règles, tandis que les praticiens s’efforcent de préserver l’effectivité des droits.

À Londres, l'avocat Matthew Wills, du cabinet Laura Devine, décrit un système « en perpétuel mouvement », où les ministres proposent d’allonger de cinq à dix ans la durée de résidence exigée pour obtenir le statut permanent – même pour les migrants déjà engagés dans le parcours de cinq ans.

À Paris, Lisanne Chamberland-Poulin, de Hope Avocats, souligne que la loi Immigration de 2024 a supprimé des protections qui empêchaient jusqu’alors l’éloignement de certains résidents de longue date, et a placé la notion de menace à l’ordre public au centre des décisions de séjour.
Le tournant populiste est le fil conducteur.

Wills rattache l’évolution du Royaume-Uni au climat de méfiance post-Brexit : relèvement des seuils financiers pour le regroupement familial, contrôles de statut entre particuliers, et projet – désormais abandonné – d’envoyer les demandeurs d’asile au Rwanda. Le tout, rappelle-t-il, s’inscrivait dans un contexte où le Premier ministre a présenté le pays comme une « île d’étrangers » lors du dévoilement de sa politique en mai 2025.

Chamberland-Poulin observe un phénomène similaire en France, où le débat « reste malheureusement focalisé sur la minorité d’étrangers faisant la une de faits divers », ce qui entraîne des mesures pesant surtout sur « ceux qui ne demandent qu’à vivre tranquillement en France en travaillant et en s’intégrant ».


« Franchement, il est parfois difficile d’envisager l’évolution du droit de l’immigration au Royaume-Uni avec beaucoup d’optimisme. » — Matthew Wills


Pourtant, quelques contre-courants existent. Au Royaume-Uni, l’accueil massif du programme Homes for Ukraine a montré, selon Wills, que « l’électorat peut en réalité se montrer réceptif à des propositions d’immigration plus positives ». En France, la même loi de 2024 qui a durci l’éloignement a aussi facilité la régularisation par le travail pour les salariés exerçant dans les secteurs en tension, leur permettant de déposer directement une demande de titre de séjour – tout en renforçant les sanctions contre l’emploi non autorisé.

Les deux praticiens insistent sur le rôle crucial de l’avocat lorsque la confiance s’effrite et que les procédures se grippent. Wills évoque la régularisation d’une cliente nigériane, qui a obtenu le statut de résidente permanente après dix ans d’incertitudes grâce à des représentations ciblées ayant mis en lumière les erreurs de l’administration. Chamberland-Poulin décrit des recours contentieux pour contraindre les consulats à accorder des rendez-vous de demande de visa long séjour : « Le simple fait d’être assisté par un avocat est déjà une protection des droits d’un migrant… Sans avocat, les clients étaient complètement démunis. »


« Il faut bien comprendre que la France… ne peut que rester un pays d’immigration. » — Lisanne Chamberland-Poulin


Pour les années à venir, tous deux prévoient davantage de pressions. Wills s’attend à un relèvement des seuils salariaux, à une réduction des marges de manœuvre liées à l’article 8 de la CEDH et à l’introduction d’une citoyenneté « méritée ». Chamberland-Poulin anticipe un renforcement des mesures d’éloignement et de la lutte contre le séjour irrégulier, tout en rappelant que la démographie et l’économie françaises imposent de maintenir l’immigration, avec l’intégration et la langue comme enjeux centraux.

Des deux côtés de la Manche, le constat converge : le droit de l’immigration se redéfinit dans l’arène politique, mais son sens au quotidien continuera de s’écrire grâce aux avocats qui contestent les décisions, ouvrent l’accès à la justice et maintiennent au premier plan la légalité – et l’humanité.

Marc-André Seguin,
Editor-in-chief, UIA Newsletter

Lisanne Chamberland-Poulin
Hope Avocats
Bordeaux, Paris

Matthew Wills
Laura Devine Immigration Law
London, U.K

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