Commissions | 17.08.2018

Peut-on avoir un associé tiers investisseur ? Par B. Nzouango

PEUT-ON AVOIR UN ASSOCIE TIERS-INVESTISSEUR ? SI OUI, QUELLE PEUT ETRE L’ETENDUE DE SES DROITS ?

La profession d’Avocat est généralement décrite comme une profession libérale - même si dans certains pays elle peut être exercée dans le cadre d’un contrat de travail - exercée par des praticiens du droit organisés en un Ordre Professionnel. L’Avocat évolue, seul ou en groupe, au sein d’une structure qui pourra prendre la forme d’une simple association de frais, d’une Société Civile Professionnelle constituée avec d’autres confrères, voire d’une société à forme commerciale. Dans certains cas, l’Avocat pourra impliquer dans le capital de la société au sein de laquelle il exerce sa profession une ou plusieurs personnes physiques ou morales non Avocats, d’où la notion de tiers investisseur. Ce dernier peut être défini comme celui qui, sans appartenir à la catégorie professionnelle de ses associés avocats, met des moyens financiers à disposition en vue du développement de la structure à laquelle il participe. Or, à notre avis, une société professionnelle d’Avocats ne devrait regrouper que des Avocats. C’est pourquoi nous nous interrogeons ci-dessous sur l’étendue des droits accordés à ces tiers investisseurs au sein de la société dont ils détiennent une partie du capital, lorsque la loi permet qu’une société d’Avocats soit ainsi financée par des tiers. Après avoir démontré que ce concept est prévu dans certains pays occidentaux et participe de l’évolution du jeune Avocat (I), nous montrerons qu’il s’agit d’un nouveau chantier pour l’Avocat Africain, difficile à intégrer au vu de sa condition actuelle (II).

I- LE FINANCEMENT DES SOCIETES D’AVOCATS PAR DES TIERS INVESTISSEURS, UNE AUBAINE POUR LES AVOCATS OCCIDENTAUX



La Société occidentale, consciente de l’avance considérable dont elle bénéficie en termes de développement, garde toujours l’esprit en éveil et est constamment à la recherche de mécanismes lui permettant d’encore développer son économie. Le métier d’Avocat n’est pas en reste dans ce jeu économique : un Cabinet d’Avocat constitue une entreprise à part entière et, au même titre que toute autre société, « vend » des services, est assujettie au fisc, paye des taxes et redevances diverses. Un Cabinet d’Avocat aura donc besoin de moyens financiers importants dans le cadre de sa constitution et de son fonctionnement et au besoin d’une aide que ce soit dans ce cadre ou en vue de faire face à la concurrence souvent très rude du marché des affaires.
Les apports en capital des associés lors de la constitution ou de la restructuration de la société constituent des fonds propres et déterminent, en règle générale, les droits des actionnaires (associés) notamment en termes de droit de vote. Or pour être associé dans une société d’Avocats et par conséquent y avoir des droits, le schéma classique ou la conception classique en la matière voudrait qu’on fût Avocat. L’intervention de tiers dans le capital d’une société d’Avocats est donc exclue. Lorsqu’un financement externe s’avère nécessaire, les sociétés ou Cabinets d’Avocats ne peuvent traditionnellement avoir recours qu’à des établissements de crédit, ce qui devient de plus en plus ardu en particulier en Afrique.
Mais face aux défis actuels présentés en particulier par la transition numérique de la société et le développement technologique, le Cabinet d’Avocats a besoin de s’arrimer au monde numérique et d’accroitre ses capacités. En France, un nouveau mode de financement, autorisé par la loi Macron, a été conçu permettant, dans certaines limites, à certains tiers de détenir une participation dans le capital d’une société d’Avocats et d’y avoir les mêmes droits de vote que les associés Avocats de cette société. Plus de la moitié du capital social et des droits de vote doit toutefois être détenue, directement ou indirectement par des professionnels en exercice au sein de la société.
Le financement d’une société d’Avocats par des tiers investisseurs devient donc une évidence pour certains, notamment en France et au sein de certains pays de l’Union Européenne.
Le recours à un tiers investisseur n’est toutefois pas sans danger, en particulier lorsqu’il s’agit de définir l’orientation de l’utilisation des investissements des tiers.
En effet, si un tiers investisseur parvenait, comme se peut être le cas dans les sociétés classiques, à détenir la majorité des droits de vote et donc le contrôle de l’entreprise, il lui sera alors possible d’y dicter sa loi et la politique menée sera celle qu’il aura choisie. A ce niveau, on peut craindre la perte de l’indépendance de l’Avocat et des entorses à certaines règles déontologiques dès lors que le tiers investisseur ne les respecterait pas. Ce mode d’exercice de la profession d’Avocat doit dès lors en tout cas être encadré par des mécanismes adaptés permettant de garantir l’essence même de la profession d’Avocat. Tel n’est pas le cas en Afrique, qui n’a pas encore accès à certains des outils existant dans les pays occidentaux.

II- UN CHANTIER NOUVEAU, DIFFICILE A ASSEOIR EN AFRIQUE AU VU DE SA CONDITION SOCIALE


La société africaine s’est familiarisée avec le métier d’Avocat dans le courant le siècle dernier seulement ; cela se justifie par le jeu des civilisations. La législation s’est aussi élaborée avec beaucoup de retard et se montre moins dynamique par rapport à la situation dans les pays occidentaux.
Depuis que les établissements de crédit ont montré leur lassitude à soutenir financièrement les Cabinets d’Avocats en Afrique, l’installation de l’Avocat à son propre compte ou la création d’une société civile professionnelle d’Avocats a toujours été un parcours de combattants. L’Avocat se retrouve ainsi dans des conditions d’exercice difficiles, sans logistique adaptée, sans structure solide, sans assurance de son Cabinet, mettant en difficulté ses clients, son épanouissement et celui de sa famille, sa retraite. Ce manque d’infrastructures, souvent requises par les grands groupes et les multinationales, ne lui permet pas de ce fait de concurrencer les grosses structures occidentales en particulier pour les dossiers importants dont le traitement nécessite notamment des moyens informatiques importants et une organisation logistique sans faille.
Le Cameroun, à travers la loi de 1990 régissant la profession d’Avocat, n’a pas prévu de mécanisme de financement de Cabinets ou de Sociétés d’Avocats par des tiers investisseurs. Pour être membre d’une forme autorisée de structure d’Avocats (Cabinet ou Société Civile Professionnelle), il faut être Avocat et avoir prêté serment au Cameroun en tant que tel. Les méthodes classiques de financement par des tiers restent dès lors les prêts bancaires, les recours à l’emprunt obligataire, au crédit-bail dans sa forme classique, etc. Toutefois, les bénéficiaires de ces investissements en restent redevables sans pour autant que les tiers investisseurs aient des droits au sein du Cabinet ou de la Société d’Avocats.
La notion de tiers investisseur dans le financement ou la participation dans les Sociétés d’Avocats ne fait l’objet d’une règlementation au Cameroun ni dans la majeure partie des pays d’Afrique. Lorsqu’un pareil investissement est admis, les droits de l’investisseur se limitent au bénéfice des dividendes générés par son apport.
La solution à envisager est une politique gouvernementale pouvant prévoir ces mécanismes, afin que la profession d’Avocat puisse redorer son blason à l’égard des sociétés occidentales. Une autre solution consisterait en un rapprochement associatif des barreaux du monde entier (à l’image de l’ONU à petite échelle) avec des possibilités des aides au financement des Cabinets ou des Sociétés d’Avocat à taux préférentiels et avec des conditions souples de remboursement, pour garder toute la noblesse et l’indépendance de l’Avocat. On peut aussi avoir recours au jumelage des Cabinets étrangers avec des cabinets locaux ou encore à la création d’un fonds d’aide pour financer les besoins dans le cadre de la création ou de la restructuration des Cabinets face aux défis actuels de la mondialisation et de la numérisation, afin que le métier demeure l’affaire exclusive des Avocats.
L’Avocat a besoin de protection car il est le gardien de la cité, celui qui préserve les droits des citoyens. Il n’est pas souhaitable qu’un tiers, par son financement ou par tout autre moyen, vienne s’immiscer dans cette profession dont la forte réglementation et les usages visent, au premier titre, à protéger les clients.

Bertrand NZOUANGO
Membre UIA, Cameroun

Secrétaire de la Commission Avenir de l'Avocat

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