L’UIA-IROL s’inquiète en particulier du caractère multiforme de ces attaques qui ne se limitent pas aux atteintes directes portées par des actes politiques tels que les décrets présidentiels de Donald Trump.
Pour rappel, dès ses premières semaines au pouvoir, le président Trump a pris deux mesures inédites contre la CPI. Immédiatement après son entrée en fonction le 20 janvier 2025, il a publié un décret présidentiel annulant le décret présidentiel adopté par le Président Biden en 2020 et annulant lui-même un précédent décret de Donald Trump imposant des sanctions ciblées contre la CPI. Deuxièmement, le 6 février, il a signé un nouveau décret – EO 14203 – intitulé « Imposing Sanctions on the International Criminal Court ». Alors que le décret précédent mettait l’accent sur les préoccupations liées à l’enquête visant le personnel américain en Afghanistan, le nouveau décret est également motivé par les mandats d’arrêt visant B. Netanyahu et Y. Gallant.
En réaction, le 28 février 2025, l’UIA-IROL a publié un communiqué exprimant son indignation et sa profonde inquiétude face à cette évolution, soulignant qu’elle constituait une menace directe pour l’indépendance, l’impartialité et la capacité de la Cour à remplir sa mission.
En plus de désigner immédiatement le Procureur Khan, le décret EO 14203 a chargé le Secrétaire d’État de procéder à d’autres désignations dans les 60 jours. Le 5 juin 2025, Marco Rubio a procédé à de nouvelles désignations concernant quatre juges de la CPI, dont deux avaient autorisé l’enquête sur l’Afghanistan et deux autres avaient approuvé les mandats d’arrêt contre B. Netanyahu et Y. Gallant.
En date du 20 août 2025, deux autres juges, ainsi que les Procureurs adjoints de la CPI se retrouvent également visés par le décret (« Executive Order ») 14203 précité, pour avoir « directement participé à tout effort déployé par la CPI visant à enquêter sur, arrêter, détenir ou poursuivre une personne protégée sans le consentement du pays de nationalité de cette personne » [1].
Parallèlement à ces attaques directes, l’UIA-IROL note des tentatives d’instrumentalisation de la procédure devant la Cour par des entités ayant exprimé des menaces directes et violentes à l’égard de l’institution judiciaire, l’une d’elles en particulier usant de méthodes préoccupantes pour encourager les sanctions à l’égard de la Cour. [2]
Enfin, les déclarations de certains États concernant l’attribution d’une immunité, même limitée ou conditionnée, à des chefs d’États soumis à des mandats d’arrêt de la Cour, portent un coup grave à la capacité de l’institution à défendre sa légitimité et sa raison d’être, y compris auprès du public et en particulier des victimes, premières concernées par le mandat de la Cour. Nous notons et soutenons les observations [3] soumises devant la Cour par l’Association du Barreau africain et l’Association internationale des juristes démocrates, exprimant des préoccupations sérieuses sur la portée des attaques portées ainsi à la Cour via ses juges et les membres du bureau du Procureur notamment.
Aujourd’hui, il devient primordial pour tous, États, organisations internationales et société civile, de protéger et soutenir toutes les mesures de nature à protéger l’indépendance de la Cour. Le fait que cette juridiction, unique, puisse juger les crimes de guerre, crimes contre l'humanité, génocides et crimes d'agression, en complément des juridictions pénales nationales, en toute impartialité et toute indépendance est indispensable à la préservation d’un État de droit international qui ne s’opère pas selon deux poids et deux mesures. Elle constitue un outil essentiel à la construction d’une paix durable dans les régions du monde sur lesquelles porte son mandat mais aussi au-delà, au niveau mondial.
Nous notons les déclarations de la Présidente de Commission européenne insistant sur la nécessité de protéger la Cour de toute interférence.
Avec la Belgique et la Slovénie notamment, nous appelons l’Union européenne à aller plus loin et prendre des mesures immédiates pour protéger la Cour et l'État de droit, notamment en modifiant rapidement la loi de blocage de l'UE afin d'intégrer le décret (« Executive Order ») 14203 dans son Annexe.
Nous rappelons qu’avec cette mesure, l’Union européenne entend protéger les entreprises européennes contre les conséquences de sanctions imposées par des pays tiers que l’Union considère comme illégales. Comme l’a confirmé la Cour de justice de l’Union européenne dans son arrêt de 2021 [4], la loi de blocage a pour objet de préserver l’ordre juridique de l’Union et de contrer les mesures qui violent le droit international et compromettent les objectifs de l’UE. Or, les sanctions visant la CPI s’inscrivent pleinement dans le champ des objectifs de défense du droit international, notamment la protection des droits humains et de l’État de droit, rendant l’inclusion du décret (« Executive Order ») 14203 dans le champ d’application de la loi à la fois nécessaire et urgente. Une telle modification offrirait une sécurité juridique aux opérateurs européens, garantirait la coopération avec la Cour et enverrait un signal politique fort indiquant que l’Union et ses États membres (en particulier les Pays-Bas, en tant qu’État hôte) soutiennent fermement l’indépendance de la CPI. Nous nous joignons aux voix qui appellent à recourir à ce mécanisme pour défendre le mandat de la CPI.
Les États membres se doivent de leur côté de renforcer fermement leur action diplomatique pour protéger la CPI avant que la crédibilité et l’efficacité de la Cour ne soient irrémédiablement mises à mal.
Enfin, nous exprimons notre solidarité et notre soutien à tous les professionnels qui travaillent à la Cour ou soutiennent son action sur le terrain et saluons la détermination exprimée par la Cour et ses organes dans la façon dont ils entendent tout mettre en œuvre pour poursuivre au mieux le mandat de la Cour, y compris par les enquêtes sur le terrain, malgré les attaques frontales qui lui sont portées.
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[1] La traduction nous appartient.
[2] Voir sur ce point l’article de R. Atjovi, Conflict of Interest in the Situation Venezuela before the International Criminal Court, dans Medium.
[3] https://www.icc-cpi.int/sites/default/files/RelatedRecords/0902ebd180c6e5e6.pdf
[4] Bank Melli Iran c. Telekom Deutschland GmbH (affaire C-124/20) Arrêt (21 décembre 2021) https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=251507&pageIndex=0&doclang=FR&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=574404